La Confédération, c’est la négation de la liberté de deux peuples. Bien plus, la Confédération crée des ennemis là où il devrait y avoir deux peuples voisins et amis

Ici un discours D’André D’Allemangne prononcé à l’Assemblée de Montréal-Nord
en 1963, qui est toujours aussi actuel.

Bonne Lecture!

Mesdames, Messieurs,

Le vieux conflit entre Québec et Ottawa, c’est-à-dire entre le Canada français et le Canada anglais, est devenu récemment plus critique que jamais. Depuis quelques mois, en effet, nous avons vu les deux gouvernements se heurter l’un à l’autre sur les questions de la fiscalité, de l’aide aux municipalités, de la pension de vieillesse et de l’assistance aux Esquimaux du Québec. Fidèle à sa tradition, le gouvernement d’Ottawa a poursuivi sa politique de centralisation, au mépris de la Constitution canadienne et des droits du Québec. De son côté, le gouvernement québécois s’est opposé avec véhémence, comme le faisait jadis Duplessis, aux incursions du gouvernement fédéral. Pourtant, les deux gouvernements se disent de même lignée, de même race politique: les deux sont libéraux et en surface tout semblerait les inviter à s’entendre.

Comment se fait-il alors que chaque fois qu’un des deux gouvernements veut agir, ses initiatives viennent immanquablement se briser contre la résistance de l’autre?

La raison est simple, à condition qu’on veuille bien la voir telle qu’elle est. Le gouvernement du Québec, bon gré mal gré, ne peut plus se contenter du rôle amoindri de ses prédécesseurs. […] Le peuple québécois a enfin pris conscience de sa qualité de nation, et toute notre façon de penser s’en trouve transformée. Nous avons fini de réagir à tout propos comme une minorité hésitante et craintive. Nous voulons désormais vivre non plus comme une province mais comme une nation qui entend maîtriser elle-même son destin et façonner elle-même son histoire. Et nous voulons que notre gouvernement, celui de Québec, agisse désormais comme un véritable gouvernement national.

De son côté, le gouvernement d’Ottawa, contrôlé par la majorité canadienne-anglaise, semble prêt à assumer de nouvelles responsabilités. Obligé de faire face, dans le domaine économique tout particulièrement, à des problèmes de plus en plus pressants, il veut, pour les régler, utiliser pleinement ses pouvoirs et même les augmenter.

Le conflit provient tout simplement de ce que chacun de ces deux gouvernements est — et a accepté d’être — un gouvernement national, chargé de défendre et de favoriser les intérêts de la nation qu’il représente. Tout le monde reconnaît, de nos jours, que le gouvernement de Québec est le gouvernement de la nation canadienne-française. Mais la nation canadienne-anglaise, elle aussi, a droit à son gouvernement: celui d’Ottawa. Cela n’est que légitime et normal. Le nier, c’est nier l’évidence. Le gouvernement d’0ttawa joue, pour le Canada anglais, le même rôle que le gouvernement de Québec pour le Canada français. Ce principe, lorsqu’on l’admet, explique toute la politique du gouvernement dit « fédéral » et en fait non pas un noir complot mais une attitude juste et raisonnable.

Dans des circonstances normales, une telle situation ne pose pas de problèmes. Il existe à travers le monde bien des nations voisines dont chacune a son gouvernement qui est entièrement libre d’agir à sa guise sur son territoire. Lorsque les deux nations ont des intérêts communs, les deux gouvernements se consultent, sur un pied d’égalité, et adoptent des politiques communes. Lorsque les intérêts sont différents, chacun des deux gouvernements sert les intérêts de la nation qu’il dirige et représente. Cela s’appelle de la démocratie, sur le plan international.

Au Canada, cependant, la situation est entièrement fausse, tout d’abord parce qu’aucune des deux nations n’est libre, et ensuite parce que leurs gouvernements respectifs ne sont pas sur un pied d’égalité. D’où des frictions inévitables et des conflits insolubles qui dureront aussi longtemps que durera la Confédération.

Nous disons qu’aucune des deux nations n’est libre. Le gouvernement du Québec n’est pas libre, en effet, d’effectuer une planification sérieuse de notre économie, tout simplement parce qu’il ne contrôle pas les principaux leviers de notre économie. Songez qu’Ottawa perçoit plus de 80 pour 100 des impôts directs au Québec et contrôle le commerce extérieur, les douanes, le crédit, la banque et la monnaie. Comment, dans de telles circonstances, le gouvernement provincial pourrait-il sérieusement appliquer une politique de développement économique, alors que tous les économistes soulignent que la planification ne peut être partielle et doit englober tous les secteurs de la vie économique nationale? Les pouvoirs que détient Ottawa, en vertu de la Constitution, empêchent le gouvernement de Québec d’effectuer toute planification sérieuse qui serait dans l’intérêt de la nation, qui permettrait de supprimer le chômage, d’encourager nos industries et de donner quelque espoir de relèvement à nos régions sous-développées.

Par contre, le gouvernement d’Ottawa n’a pas non plus des pouvoirs illimités. Il ne touche pas tous les impôts, il ne contrôle pas entièrement la sécurité sociale ni les institutions économiques et financières, à cause des pouvoirs limités des provinces dans tous ces domaines.

La situation est donc absurde. Le gouvernement d’Ottawa a toutes les raisons de vouloir organiser l’économie canadienne selon les intérêts de l’ensemble du Canada, mais il ne peut pas le faire parce que le gouvernement du Québec a juste assez de pouvoirs pour l’en empêcher et bloque continuellement sa politique.

Le gouvernement du Québec, pour sa part, doit protéger les intérêts de la nation canadienne-française et planifier l’économie du Québec en fonction des intérêts du peuple québécois, mais il ne peut pas le faire parce que les principaux instruments de la planification économique sont entre les mains d’Ottawa.

Dans la situation actuelle, chacun des deux gouvernements entrave l’autre. La nation canadienne-anglaise et la nation canadienne-française se limitent l’une l’autre, s’opposent l’une à l’autre, à cause d’une structure périmée qui s’appelle la Confédération. Chacune des deux nations a ses intérêts, ses espoirs, son destin, mais elle est enchaînée à l’autre par des liens artificiels qui datent de presque un siècle. Le Canada anglais n’est pas libre. Nous ne sommes pas libres. La Confédération, c’est la négation de la liberté de deux peuples. Bien plus, la Confédération crée des ennemis là où il devrait y avoir deux peuples voisins et amis.

La solution saute aux yeux. Elle consiste à rompre ce lien qui est arbitraire, imposé et odieux et à donner à chaque nation la liberté de poursuivre à sa guise sa propre destinée. Cela s’appelle l’indépendance… l’indépendance du Québec, qui est aussi celle du Canada anglais. Alors, et alors seulement, les deux nations seront égales et pourront conclure des ententes dans la mesure où leurs intérêts communs l’exigeront. Ce sera la fin de la méfiance traditionnelle et de la lutte séculaire qui nous a fait gaspiller tant de nos énergies. L’indépendance du Québec offre tous les avantages de n’importe quelle confédération, refaite ou non, et écarte tous les dangers et tous les conflits auxquels la Confédération nous a habitués, pour notre plus grand malheur.

L’indépendance, c’est la liberté et l’égalité pour les peuples canadiens-français et canadien-anglais. C’est peut-être aussi la fraternité. De toute façon, pour le peuple québécois, c’est la seule façon d’être maître chez lui, de détenir tous les pouvoirs sur son territoire et de goûter enfin à la liberté qu’on accorde de nos jours à toutes les nations du monde.

Telle est la solution que proposent les indépendantistes. 

 

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